Une ville peut-elle demander l’annulation de sa propre résolution, en défense à une poursuite, plusieurs années après son adoption?

C’est la conclusion à laquelle en arrive la Cour d’appel du Québec, dans une décision unanime rendue en janvier 2016.

En décembre 2006, juste avant une fusion municipale, la municipalité fusionnée émet un permis de lotissement au promoteur pour deux lots sur lesquels il a construit des rues. Le conseil municipal adopte aussi une résolution par laquelle la municipalité s’engage à acheter les lots en question pour le montant de 1 $.

Il y a cependant un problème : les rues ne sont pas conformes à la réglementation municipale et le promoteur n’a pas signé l’entente requise pour la réalisation des travaux municipaux. Il refuse de faire les travaux pour rendre les rues conformes.

Au printemps 2007, le promoteur commence à s’informer sur les intentions de la municipalité de donner suite à la résolution promettant d’acheter les lots. Il continue ses démarches et y met graduellement plus d’insistance. En novembre 2007, la municipalité lui indique clairement, par écrit, qu’elle n’a pas l’intention de donner suite à cette résolution vu l’absence de signature de l’entente et la non-conformité des rues.

Des échanges s’ensuivent jusqu’en mai 2009, mais aucune des parties ne modifie sa position. Le promoteur envoie donc une mise en demeure à la ville en mai 2009 et intente un recours en Cour supérieure en juin 2009. Il demande au tribunal d’ordonner à la ville d’acheter les lots pour la somme convenue de 1 $ et de lui verser des dommages-intérêts de 10 000 $.

En défense, la ville conteste la demande du promoteur et demande au tribunal l’annulation de sa résolution, car elle est contraire à sa propre réglementation municipale, qu’elle doit respecter, comme tous. Le promoteur réplique que la ville devait demander l’annulation de sa résolution dans un délai raisonnable, ce qui n’est pas le cas, près de 3 ans s’étant écoulés entre son adoption et la demande d’annulation.

La Cour supérieure en vient à la conclusion, dans son jugement rendu en août 2014, que la ville a raison. Elle rejette les demandes du promoteur, car elle annule la résolution. En effet, selon la cour, la ville doit respecter sa propre réglementation, comme tous doivent le faire. Quant à la question du délai raisonnable, le tribunal considère que les échanges intervenus entre les parties ont eu pour effet de repousser le délai maximal pour demander l’annulation de la résolution.

Le promoteur porte la cause devant la Cour d’appel, mais uniquement sur la question du délai raisonnable.

La Cour d’appel considère que la Cour supérieure a eu raison d’annuler la résolution, mais pas pour les bons motifs. Selon le plus haut tribunal de la province, il n’est pas question, dans cette affaire, de considérer les échanges intervenus entre les parties comme étant suffisants pour permettre de suspendre le délai raisonnable pendant lequel l’annulation de la résolution aurait pu être demandée. En effet, aucune des parties n’a véritablement négocié. Elles ont plutôt expliqué et maintenu leur position respective depuis le début. Cela n’est pas une tentative de règlement à l’amiable.

Elle considère cependant que deux éléments sont fondamentaux sur la question du délai dans cette affaire. Premièrement, le promoteur n’a pas montré d’empressement à demander le respect de la résolution et n’a pas posé de gestes concrets avant sa mise en demeure de mai 2009, soit 2 ans et demi plus tard. Le seul fait de discuter et d’expliquer son point de vue n’est pas suffisant. La ville ne pouvait pas savoir s’il allait finalement accepter de rendre conformes les rues ou laisser tomber sa demande.

Deuxièmement, la résolution en elle-même n’avait aucun effet réel. Selon la cour, « elle n’empêche rien et n’impose rien à quiconque à cette époque. Il est donc raisonnable pour la Ville, dans un tel contexte, de ne pas se précipiter [à la Cour] pour en demander l’annulation. Il est d’ailleurs possible qu’une telle demande ne soit jamais nécessaire si l’appelant [le promoteur] n’exige pas qu’il soit donné suite à la résolution ou s’il décide de se conformer à la réglementation municipale. »

Selon la cour, la situation est donc différente du cas où un contribuable veut faire annuler une résolution ou un règlement municipal qui produit des effets réels. Plus il tarde à agir, plus il laisse s’installer une situation factuelle en raison de l’acte de la municipalité. L’exigence de respecter un délai raisonnable a donc pour but « d’assurer une certaine stabilité aux situations de fait qui sont créées par les règlements ou les résolutions ».

Par contre, s’il fallait exiger de chaque municipalité qu’elle prenne l’initiative de s’adresser aux tribunaux pour annuler une résolution qui ne produit aucun effet et dont personne ne tente de s’en prévaloir concrètement, cela serait contre-productif tant à l’égard de la municipalité qu’à l’égard du système judiciaire.

Le délai raisonnable doit donc s’évaluer non pas à partir de la date de la résolution, dans un tel cas de résolution « sans effet », mais à partir du moment où la ville sait que l’on va lui demander d’appliquer cette résolution.

D’ailleurs, cette préoccupation de limiter les recours « inutiles » aux tribunaux n’est ni nouvelle ni propre au domaine municipal. Une règle générale prévue au Code civil du Québec impose  le principe que même si la prescription est écoulée pour faire valoir un droit en demande, il est toujours possible de faire valoir ce droit en défense, hors délai (article 2882 C.c.Q.). Après tout, si ce n’était pas permis, il faudrait que les gens intentent des poursuites en justice préventives, « au cas où » l’autre partie au contrat ou à l’acte leur réclamerait éventuellement quelque chose.

Bref, comme la ville a demandé l’annulation de sa résolution en octobre 2009, lorsqu’elle a produit sa défense à la poursuite du promoteur intentée en juin 2009, la Cour d’appel juge que ce délai de quelques mois était raisonnable et même rapide. La demande d’annulation était donc valable et devait être accordée. En l’absence de résolution, le promoteur ne pouvait plus forcer la ville à acheter les lots et n’avait plus aucun motif légal de demander des dommages-intérêts, d’où le rejet de son recours.