Une personne est-elle responsable si un enfant se blesse dans un immeuble dangereux lui appartenant?

La réponse à cette question est « Oui », sauf lorsque l’accident n’a pas de lien avec le fait que l’immeuble soit dangereux et qu’il est survenu à cause du comportement de l’enfant, tel que le rappelle la Cour supérieure dans une décision rendue le 20 juillet 2016.

Dans cette affaire, la défenderesse, poursuivie à titre de propriétaire de l’immeuble dangereux, est une ville. Elle a en effet acheté l’immeuble quelques années plus tôt, dans le cadre d’une vente pour non-paiement des taxes municipales et scolaires. Cependant, le fait qu’une ville soit propriétaire de l’immeuble en cause ne change pas le fait que les règles de droit qui s’appliquent dans ce cas sont les mêmes que pour toute autre personne.

En effet, la responsabilité civile prévue par le Code civil du Québec s’applique autant à une ville qu’aux citoyens du Québec. Après tout, le droit d’acheter un immeuble, que ce soit dans une vente pour taxes impayées ou autrement, n’est pas réservé aux villes.

Cela étant dit, l’immeuble dangereux, maintenant désaffecté, était un ancien immeuble commercial avec logements au-dessus, ayant déjà abrité un cinéma et un bijoutier, entre autres. Il était délabré et dangereux, de sorte que la Ville avait apposé des affiches d’accès interdit et verrouillé les entrées, ou du moins, les entrées « classiques » telles que les portes. Par contre, les enfants des environs avaient pris l’habitude de s’y introduire, sans la permission de leurs parents ni celle de la ville. Ils pouvaient facilement y entrer avec un peu de souplesse et d’imagination, en passant par des fenêtres ou même un trou dans le mur. 6 entrées possibles sont mentionnées devant la Cour.

Le Tribunal constate que la Ville a fait seulement « le moins possible » pour empêcher les intrusions et maintenir l’état du bâtiment, et qu’elle n’a pas changé de façon de faire malgré des signes d’intrusions au fil du temps. La Cour parle de négligence. Cela constitue une faute. De plus, elle ne respecte pas, elle-même, son propre règlement municipal intitulé Règlement de construction, qui l’obligerait à démolir ou rénover substantiellement l’immeuble, puisque sa structure est dangereuse, son toit effondré et un mur du sous-sol troué (le bâtiment sera éventuellement démoli en 2013), ainsi qu’à le barricader pour empêcher tout accès dans l’intervalle. Il s’agit aussi d’une faute.

Par contre, l’accident est survenu en 2012 lorsqu’un jeune de 12 ans, après s’être introduit dans l’immeuble avec ses amis, est monté sur une armoire déjà préalablement tombée sur le sol. Les jeunes souhaitaient accéder au contenu de l’armoire, qui est vitrée, pour mettre la main sur une cannette de breuvage. Ils tentent de briser la vitre de l’armoire car elle ne s’ouvre pas. Puisque frapper sur le bois de l’armoire ne fonctionne pas, la jeune victime monte debout sur l’armoire pour faire briser la vitre. Elle se brise effectivement et le jeune se blesse lorsque sa jambe passe au travers de la vitre et s’insère dans l’armoire.

La Cour juge que la Ville n’encourt pas de responsabilité pour cet accident. Il est vrai que le Tribunal la considère négligente dans ses efforts pour interdire l’accès au bâtiment, qu’elle sait être dangereux. Elle est aussi négligente en ne le faisant pas démolir ou réparer. Ce sont 2 fautes. Toutefois, ces fautes de la Ville ne sont pas à l’origine des blessures de la jeune victime. Ce dernier était déjà entré (avec d’autres jeunes) à au moins 10 reprises dans l’immeuble, sans blessures. Seul un de ses amis s’était blessé lorsqu’il a marché sur un clou. Le Tribunal précise que la Ville est responsable de ce genre d’accident (clou dans le pied), puisqu’il a un lien direct avec le caractère dangereux du bâtiment et que les règles concernant les bâtiments dangereux visent à éviter ces situations.

Or, l’accident n’a pas de lien avec le côté dangereux de l’immeuble, mais avec le fait que la victime est montée sur la portion vitrée d’une armoire, justement pour fracasser la vitre. Il n’y avait aucun piège.  La vitre se serait brisée peu importe les circonstances de l’intrusion dans le bâtiment ou le type de bâtiment dans lequel une telle armoire se serait trouvée. La solidité du bâtiment n’est pas en cause. Le lien causal entre les 2 fautes de la Ville et la blessure subie par la victime n’existe pas. Le jeune est responsable de son malheur, vu le geste qu’il a posé. Comme le résume la Cour, la prudence dictait à la victime de s’abstenir de monter sur la vitre…

Lire la décision : http://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2016/2016qccs4099/2016qccs4099.pdf