Le tribunal peut-il rejeter une poursuite avant procès, de manière sommaire, lorsque le demandeur utilise le système de justice pour se venger?
Dans une décision rendue le 3 novembre 2016, la Cour supérieure rappelle que oui. En effet, la loi qui régit le processus judiciaire en matière civile, le Code de procédure civile, prévoit spécifiquement de telles situations.
Dans cette affaire, le demandeur avait été arrêté et accusé d’agression sexuelle en 2001. Il avait alors été renvoyé de l’École nationale de police du Québec à Nicolet. Il a été acquitté de cette accusation en 2004. Il a alors poursuivi la prétendue victime ainsi que la Ville de Québec (c’est service de police de la Ville de Québec qui a procédé à son arrestation) pour plus de 650 000 $ en 2006. Sa poursuite civile a été rejetée.
En 2008, le demandeur profère des menaces de mort et est alors arrêté deux jours plus tard. Du matériel illégal ou restreint est retrouvé chez lui. En 2009, le demandeur poursuit à nouveau la Ville de Québec pour cette deuxième arrestation, cette fois-ci pour 4 millions de dollars. Séparément, il poursuit aussi divers médias écrits et radios pour le même montant. Un peu plus tard, il est acquitté de l’accusation de menaces de mort, mais reconnu coupable de possession d’armes prohibées. Ses deux poursuites civiles sont rejetées respectivement en 2012 et 2013.
Il porte, par ailleurs, en appel la décision en matière criminelle qui le reconnaît coupable de possession d’armes prohibées. La Cour d’appel confirme le verdict de culpabilité. La Cour suprême du Canada rejette la demande formulée par le demandeur afin qu’elle traite le dossier. Sa condamnation est donc confirmée.
En 2015, une portion de la saga du demandeur, soit celle débutant avec les menaces de mort en 2008, est relatée par différents journalistes du Groupe TVA, notamment aux émissions TVA Nouvelles et Paul Larocque. Il poursuit en diffamation les journalistes et les médias concernés pour un million de dollars.
Les journalistes et médias, en défense, présentent à la cour une demande de rejet avant procès, puisque le demandeur utiliserait le processus judiciaire pour se venger et de manière inappropriée. Le demandeur maintient qu’il est une victime dans cette affaire et que de la diffamation a été commise contre lui. Il reproche aux médias et journalistes d’avoir cherché le sensationnalisme et de l’avoir présenté comme un individu dangereux.
Analysant le dossier et les propos des journalistes, la Cour supérieure en vient à la conclusion que les journalistes ont fidèlement résumé ce qui était contenu dans les différents dossiers des tribunaux, dossiers qui sont publics. Les journalistes ont fidèlement rapporté le contenu des procédures judiciaires et des décisions des juges. Il ne s’agissait pas d’un cas où les journalistes ont fait une enquête exhaustive sur la vie du demandeur, ce qui aurait été différent puisqu’ils auraient dû obtenir aussi la version du demandeur.
Les journalistes avaient le droit de rapporter ce que les dossiers des tribunaux contenaient et c’est ce qu’ils ont fait. Il ne peut donc y avoir de diffamation et, partant de là, le recours est voué à l’échec.
La cour écrit : « Le but recherché par [le demandeur] est de sans cesse remettre en question les décisions des tribunaux, en ramenant inlassablement à l’analyse les mêmes faits, ce qui ne sert aucunement les fins de la justice. »
La cour écrit aussi : « L’esprit du Code de procédure civile, […] est précisément d’empêcher que les tribunaux ne soient utilisés à des fins de vengeance, comme c’est le but avoué [du demandeur]. »
La cour rejette donc le recours du demandeur et le condamne à rembourser les frais de justice.
Lire la décision : http://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2016/2016qccs6309/2016qccs6309.pdf