La portée de la clause de « paiement sur paiement » – Qu’en est-il lorsque le paiement de l’entrepreneur spécialisé est retardé parce que l’entrepreneur général n’a pas été payé?

L’argent est le nerf de la guerre, surtout dans les périodes de ralentissement économique…

Tout entrepreneur qui exécute un travail, qu’il soit entrepreneur général ou spécialisé, veut être payé pour ce travail.

Mais qu’en est-il lorsque le paiement de l’entrepreneur spécialisé est retardé parce que l’entrepreneur général n’a pas été payé? Est-ce légal de retarder ainsi un tel paiement?

En matière de contrat, le principe veut que, dès l’émission d’une facture, il doit y avoir paiement par le client, sauf si un terme (par exemple Net 30 jours) lui a été accordé. Ce principe n’est pas différent en matière de contrat de construction. En l’absence de disposition du contrat prévoyant autre chose, une facture est payable sur réception et à l’intérieur du terme de paiement qui y est indiqué.

Or, dans plusieurs contrats entre un entrepreneur général et ses entrepreneurs spécialisés, nous retrouvons une clause de « paiement sur paiement ». L’objectif de ce genre de clause est de permettre à l’entrepreneur général de payer ses sous-traitants uniquement après la réception du paiement de la part du donneur d’ouvrage. Cela évite à l’entrepreneur général de supporter le financement de l’ensemble des travaux des sous-traitants pendant la période où il attend lui-même un paiement de son client.

D’abord il importe de souligner que les tribunaux ont reconnu à maintes reprises la validité de ce type de clause de paiement sur paiement. Il n’est donc pas illégal, ni même surprenant de la retrouver dans plusieurs contrats de sous-traitance.

De façon générale, ces clauses prévoient que le sous-traitant sera payé à l’expiration d’un délai de X jours suivant la réception par l’entrepreneur général du paiement de la part du donneur d’ouvrage.

Mais quel est le véritable impact de ce type de clause dans un contrat? Que se passe-t-il lorsque le paiement du donneur d’ouvrage connaît des retards importants ou, pire, lorsqu’il est clair que le donneur d’ouvrage ne paiera jamais (par exemple parce qu’il est insolvable)?

Pour répondre à ce genre de question, les tribunaux se sont attardés aux termes utilisés dans la rédaction des contrats et au libellé de ces clauses de paiement sur paiement, afin d’y déceler l’intention réelle des parties. Cela permet de déterminer la portée réelle de telles clauses.

Par exemple, la Cour d’appel, dans l’arrêt Design & construction Giffels Québec inc. c. Excavation Yelle inc., 2016 QCCA 256, indique que ces clauses peuvent créer deux types de situations :

  • soit l’obligation de paiement est conditionnelle;
  • soit l’obligation de paiement est à terme, mais le délai est suspendu.

La cour s’exprime dans les termes suivants :

[2]  S’il s’agit d’une obligation à terme, l’article 1510 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») s’applique. Cet article prévoit que si l’événement qui était tenu pour certain n’arrive pas, l’obligation devient exigible le jour où l’événement aurait dû normalement arriver (c.-à-d. que si le tiers ne verse pas son paiement au débiteur le jour où il aurait dû normalement le faire, le débiteur doit alors verser son propre paiement au créancier). Par contre, s’il s’agit d’une obligation conditionnelle, les articles 1497 et suivants du C.c.Q. peuvent alors s’appliquer. Ces articles prévoient que l’obligation du débiteur est retardée indéfiniment jusqu’à l’arrivée de l’événement (c.-à-d. que le débiteur n’est pas tenu de verser son paiement tant et aussi longtemps qu’il n’a pas lui-même reçu le paiement du tiers).

[nos soulignements]

Dans cette affaire, la clause de paiement prévue au contrat était la suivante :

toute facturation devra être émise à Design et Construction Giffels Québec Inc. et envoyé (sic) le 21 du mois. […], l’entrepreneur règle normalement les demandes de paiement du sous-traitant dans les 30 jours qui suivent la date de la fin de la période ou dans les 5 jours suivant le paiement par le propriétaire, la date la plus tardive prévalent (sic).

[nos soulignements]

Le terme «normalement» inclus dans cette clause, amène la Cour à conclure que l’intention véritable des parties d’assujettir le paiement à un terme, soit au plus tard à la date du paiement par le propriétaire, et non à une condition, soit le paiement ou le non-paiement par le propriétaire.  Ainsi, le paiement du propriétaire étant un événement qui devait arriver, et pour lequel le contrat principal avait prévu des délais, la condition fixée pour le paiement du sous-traitant arrive à terme à l’accomplissement de ce délai. L’entrepreneur général doit donc payer le sous-traitant lorsqu’il devient évident que le propriétaire ne paiera pas.

Dans une autre cause (Plomberie KRTB inc. c. Construction Citadelle inc., 2015 QCCS 3103 (CanLII)), la Cour supérieure devait interpréter la validité et le sens à donner à une clause de «paiement sur paiement».  Cette clause prévoyait le paiement par l’entrepreneur général « le jour suivant où il aura reçu le paiement ». Dans cette affaire, la Cour supérieure a établi qu’il s’agissait également d’une obligation à terme et non d’une obligation conditionnelle.  En effet, la cour perçoit l’arrivée de l’évènement, soit le paiement, comme une certitude dans l’esprit des parties, et ce, par la formulation «aura reçu». L’entrepreneur général a également dû payer son sous-traitant, et ce, malgré la faillite du donneur d’ouvrage.

Par contre, l’utilisation des termes « si » ou « pourvu que » dans un libellé de telles clauses pourrait mener un tribunal à conclure que la clause de paiement sur paiement est conditionnelle, ce qui amènerait l’entrepreneur spécialisé à supporter, avec l’entrepreneur général, le risque de non-paiement par le donneur d’ouvrage.

Cependant, puisque l’interprétation de tout contrat est question de circonstances et de preuve quant à l’intention des parties, nous vous recommandons une lecture attentive des clauses prévues au contrat.  Méfiez-vous des « copier-coller » d’un contrat qui n’est pas toujours adapté à votre situation. L’élaboration d’un contrat clair entre les parties est l’option à favoriser et en cas de doute, n’hésitez pas à consulter votre conseiller juridique.