Peut-on être considéré comme un couple sans en être un ?
Oui, rappelle le Tribunal administratif du Québec en janvier dernier, dans une décision rendue en matière de paiements de Soutien aux enfants par la Régie des rentes du Québec (RRQ).
Notons que ces paiements de Soutien aux enfants sont généralement connus sous le nom « Allocations familiales provinciales ».
Dans cette décision, les principes juridiques appliqués par le Tribunal ne sont pas nouveaux, mais le contexte rend le cas digne de mention. Voici les faits.
Les deux requérants contestent la décision de la RRQ, qui leur réclame environ 6 300 $ en paiements de Soutien aux enfants versés en trop de 2011 à 2014. La RRQ explique sa réclamation par le fait qu’elle considère les requérants comme des conjoints au sens de la Loi sur les impôts (il faut se référer à cette loi dans le cas des paiements de Soutien aux enfants), alors que les requérants avaient déclaré ne pas être conjoints, donc reçu 2 fois les allocations pour célibataires. Évidemment, les conjoints ont droit à des prestations moins élevées en raison de la méthode de calcul qui s’applique à un couple.
La preuve fournie et reconnue par les requérants eux-mêmes révèle qu’ils habitent ensemble avec leurs enfants respectifs (ils n’ont pas eu d’enfants ensemble), sont copropriétaire de la résidence, ont un compte bancaire conjoint, ont des assurances automobiles conjointes, se partagent les dépenses d’épicerie et ménagères, se partagent les tâches domestiques, font des sorties et activités familiales tous ensemble, y compris des activités de camping et visiter leur parenté respective, le tout sans faire de différence entre les enfants de l’un et les enfants de l’autre. Les enfants de l’un sont héritiers dans le testament de l’autre, comme les enfants biologiques. Chaque requérant est bénéficiaire désigné de la police d’assurance-vie de l’autre. Les paies sont déposées dans le compte conjoint et monsieur gère le budget des deux.
Ils ont publié leurs fiançailles sur leur compte Facebook.
Les requérants prétendent toutefois qu’ils ne sont qu’amis et qu’ils ont décidé de vivre en colocation familiale après le divorce vécu par chacun, pour partager les dépenses, par sécurité, pour se simplifier la vie et parce qu’ils sont de bons amis. Ils ont déjà été amoureux brièvement par le passé mais cela n’a pas fonctionné selon eux. La publication de leurs fiançailles sur Facebook aurait été une bonne blague à leurs amis et leur réseau, de même que pour faire taire l’ex-conjoint de madame, donc quelque chose de farfelu pour ceux et celles qui les connaissent. Ils reprochent à la RRQ d’avoir brimé leur vie privée en allant sur leur page Facebook, mais à ce sujet, le Tribunal rejette rapidement le reproche car il s’agit d’informations affichée publiquement et volontairement par les requérants. Il n’y a rien d’illégal dans le fait que l’enquêteur de la RRQ ait visité leur page Facebook.
Le Tribunal rappelle ensuite qu’il n’a pas à décider si les requérants sont vraiment un couple selon eux-mêmes, mais plutôt selon la définition légale. Or, cette définition légale ne réfère pas à la perception des requérants ni à leurs sentiments, mais au mode de vie qui s’apparente à celui d’un couple. Les quatre critères légaux, soit (1) la cohabitation, (2) l’entraide mutuelle, (3) la commune renommée et (4) un délai minimal de 12 mois pour tout cela, sont rencontrés.
En plus, le Tribunal ne croit pas les affirmations des requérants qui prétendent que leurs fiançailles publiées sur Facebook ne sont qu’une blague.
Bref, il y a clairement présence d’éléments permettant au Tribunal, selon lui, de conclure à l’existence d’un mode de vie qui équivaut à celui d’un couple (l’expression exacte est « vivre maritalement »), de sorte que les requérants n’ont droit qu’aux « allocations familiales provinciales » destinées aux couples, et non à celles destinées à deux célibataires vivant en colocation, beaucoup plus élevées.
Lire la décision : http://www.canlii.org/fr/qc/qctaq/doc/2016/2016canlii8424/2016canlii8424.pdf