Lorsqu’un médecin doit interpréter une prescription… qu’il n’a pas écrite!
Valérie Millette, une jeune femme de 32 ans résidente en médecine, allègue avoir été victime de violence durant sa jeunesse. Elle poursuit donc son père Michel au civil pour 1 000 000 $ pour obtenir compensation. Son père l’aurait abusé physiquement et psychologiquement sous le prétexte de vouloir l’éduquer. Au soutien de sa demande, elle invoque le non-respect de l’obligation du devoir de garde, de surveillance et d’éducation prévu pour son père alors qu’elle était d’âge mineur. En plus de prétendre qu’il s’agit d’une demande abusive, Michel Millette, le défendeur, a également plaidé l’irrecevabilité de cette demande au motif qu’elle est prescrite. Le 28 mai dernier est tombé le verdict de la Cour supérieure relativement à cette demande en irrecevabilité et en rejet pour abus de procédure, lequel infirme les prétentions du défendeur. En effet, l’honorable Lise Matteau a refusé l’argument de la prescription extinctive.
Le terme prescription ne désigne pas uniquement la recommandation thérapeutique prenant la forme d’un bout de papier sur lequel sont inscrites des directives (avec une calligraphie douteuse) que votre médecin vous remet suite à votre examen annuel. Il s’agit également d’un terme juridique désignant qu’un délai temporel accompli marque l’acquisition ou l’extinction d’un droit.
Le type de prescription qui nous intéresse en l’espèce est la prescription extinctive. Il s’agit d’un l’extinction d’un droit lorsque ce dernier n’a pas été utilisé dans le délai requis. En effet, la loi prévoit qu’un droit personnel, comme celui de poursuivre quelqu’un, se prescrit généralement par 3 ans. Toutefois, il y a des exceptions qui prévoient un délai différent. L’exception entrée en vigueur en 2013, prévoit un délai de 30 ans pour certains recours découlant d’un préjudice corporel. Il s’agit du cœur du litige visé par le jugement.
Le défendeur plaide que la prescription a commencé à courir dès que Valérie a atteint la majorité. À cette date, l’exception prévoyant un délai de 30 ans n’existait pas. Michel prétend donc que le recours est prescrit depuis que Valérie a 21 ans. Le raisonnement du défendeur est juste en droit. Cependant, il n’a pas été accepté par la Cour supérieure, qui a préféré la thèse suivante :
Les consultations de la demanderesse auprès du Dr Pierre Mailloux en 2014 l’ont aidé à faire le lien entre la violence qu’elle a subie et les traumatismes dont elle souffre. C’est uniquement à ce moment que Valérie a réalisé qu’elle pouvait obtenir compensation. L’exception du délai de 30 ans existant à cette date, c’est ce dernier qui doit être utilisé. Le recours n’est donc pas prescrit.
En refusant les arguments du défendeur sur sa requête en abus de procédure, la juge Matteau permettra que soit entendue Valérie Millette. Un jugement sur le fond suivra bientôt, et nous serons si Valérie sera bel et bien compensée pour son enfance difficile.
Lire la décision : https://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2018/2018qccs2268/2018qccs2268.html?resultIndex=1