Les policiers de la Ville de Montréal sont-ils responsables de la baisse des constats d’infraction émis en matière de sécurité routière, à l’époque où leur régime de retraite a été modifié par leur employeur?

En juillet dernier, la Cour supérieure a confirmé une décision rendue par la Commission des relations de travail en 2015 (maintenant intégrée au Tribunal administratif du travail). La Ville de Montréal reprochait à ses policiers (syndiqués, représentés par la Fraternité des policiers et policières de Montréal) d’avoir réduit de manière importante le nombre de constats d’infraction émis sur la route, au même moment où le projet de loi numéro 3, permettant aux municipalités de modifier les régimes de pension des employés municipaux, a été déposé à l’Assemblée nationale en juin 2014.

Selon la Ville, il s’agissait d’une « action concertée » de la part des policiers municipaux. Il s’agirait ainsi d’un moyen de pression, lequel serait illégal selon la Ville parce que pouvant affecter la sécurité publique. Il va de soi que les services policiers sont des services essentiels. Dans un tel cas, la CRT avait le pouvoir d’ordonner aux employés de cesser cette « action concertée », pour préserver la sécurité publique.

Évidemment, il n’y avait aucune preuve directe de l’existence de cette « action concertée », puisque ni les policiers, ni le syndicat n’ont déclaré vouloir utiliser ce moyen de pression. Ils ont même déclaré, au contraire, ne pas vouloir aller en ce sens. La Ville devait donc prouver, par présomption (indirectement), l’existence de cette « action concertée ».

Ainsi, la preuve de la Ville démontre qu’il y avait une baisse de constats d’infraction émis en juin 2014 et pour le reste de l’année, lorsque le nombre était comparé à la première moitié de 2014 et aux années antérieures. La baisse variait de 28 % à 38 %. Selon la Ville, seule une « action concertée » des policiers pouvait expliquer cela.

D’un autre côté, la Fraternité a prouvé que dès mars 2014, la Ville a entrepris de procéder à des travaux routiers en une quantité jamais vue auparavant. La preuve révèle que des policiers ont du faire du temps supplémentaire en raison de tous ces travaux.

La Commission rejette les prétentions de la Ville et accepte celles de la Fraternité.

En effet, selon la Commission, il est tout à fait logique et plausible de retenir la version de la Fraternité, qui a expliqué clairement qu’il est difficile de donner autant de constats d’infraction que d’habitude, lorsque les automobilistes passent pratiquement tout leur temps immobilisés dans des bouchons de circulation créés par les travaux routiers. Lorsque la circulation redevient fluide, les policiers évitent de la ralentir immédiatement en bloquant une partie de la chaussée avec une interception.

D’autre part, un grand nombre de policiers affectés à la circulation routière (en voitures de patrouille et motocyclettes), donc ceux qui distribuent le plus de constats d’infraction, ont été affectés à des tâches visant à faciliter la circulation, en la dirigeant ou la détournant. Non seulement ces policiers ne sont alors pas en mesure de donner des constats d’infraction, mais la vue de policiers en grand nombre sur la route a généralement pour effet immédiat de faire ralentir les automobilistes, dont la conduite devient alors très prudente et respectueuse des règles.

De plus, la Commission n’est pas satisfaite des données fournies par la Ville, qui lui semblent présentées de manière à créer une impression en faveur de la Ville. Réorganisant les données produites dans d’autres tableaux, la Commission constate que la baisse a débuté, quoique légèrement, à partir de mars 2014 (1 %), avril 2014 (9 %), mai 2014 (17 %) puis il y a eu une hausse de 14 % pour la première moitié de juin 2014.

Ces données concordent avec la présence des travaux routiers, mais pas avec les annonces concernant le projet de loi numéro 3 et le débat à ce sujet.

Pour ces raisons, la Commission a rejeté les prétentions de la Ville, n’étant pas convaincue de l’existence d’une « action concertée ». La Cour supérieure s’est dite convaincue que cette décision de la Commission doit être maintenue.

Lire la décision : http://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2016/2016qccs3551/2016qccs3551.pdf