Le pouvoir de régir les droits acquis, deux décisions récentes

Par Votre équipe en droit municipal, de l’environnement et de l'administration publique

Rappelons que la Cour suprême du Canada a statué, en 2001, dans l’affaire de Saint-Romuald c. Olivier ¹, qu’une entreprise en situation de droits acquis jouit d’une certaine souplesse dans l’exercice de ces droits acquis et qu’il faut prendre en compte les expectatives réelles et raisonnables du propriétaire pour déterminer la nature de l’usage protégé par droits acquis; ainsi, l’exercice d’un usage protégé par droits acquis n’est pas nécessairement figé; l’usage pourrait augmenter en intensité ou être modifié en respectant les critères élaborés par la cour.

C’est ainsi que la cour a permis qu’un exploitant de débit de boisson avec spectacles de musique country/western, puisse modifier son débit de boisson pour y présenter à la place des spectacles érotiques.

Or, si la règle de l’expectative réelle et raisonnable s’applique en principe, elle n’est pas sans exception. La Cour d’appel du Québec le confirmait récemment.

« Le législateur prévoit expressément le pouvoir d’une municipalité de régir les constructions et usages dérogatoires protégés par droits acquis […] en interdisant l’extension ou la modification d’un usage ou d’une construction dérogatoire protégé par droits acquis. »

En d’autres termes, le fait qu’une municipalité empêche l’extension ou la modification des usages protégés par droits acquis est valide même si l’exercice de ce pouvoir réglementaire enlève certaines expectatives d’extension ou de modification de l’usage.

Dans une autre affaire, la Cour d’appel du Québec a confirmé le principe suivant lequel celui qui cesse un usage dérogatoire protégé par droits acquis pour en débuter un autre, par ailleurs autorisé par le règlement de zonage, perd ses droits acquis, et ce, même si la période de temps au cours de laquelle le changement d’usage a duré est inférieure à la période prescrite par le règlement adopté en vertu de l’article 113,2,18ea) de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme relatif à la perte des droits acquis en cas de cessation, d’interruption ou d’abandon d’usage.

Plusieurs jugements avaient déjà statué qu’un droit acquis se limitait à l’usage spécifiquement protégé et, avec une certaine souplesse, aux usages faisant partie des expectatives réelles et raisonnables du propriétaire et qu’un propriétaire dont l’usage était protégé par droits acquis perdait ce droit, s’il changeait l’usage protégé par un autre usage, fusse-t-il légal.

Par contre, il n’existait pas de jugement analysant la portée d’un règlement prévoyant que le droit acquis ne se perd pas s’il n’y avait pas abandon, cessation ou interruption d’usage durant une période donnée, cette période ne pouvant, en aucun cas, être inférieure à six mois.

Or, la Cour d’appel du Québec a confirmé qu’une municipalité peut prévoir que les droits acquis se perdent, peu importe la durée de la cessation, si l’usage protégé est changé par un usage conforme à la réglementation. La durée du changement n’est pas déterminante pour statuer s’il y a  perte de droits acquis.

Le seul fait qu’il y ait un changement d’usage est suffisant :

« L’intimée a raison d’affirmer que la finalité de l’article 17 du règlement […] est d’énoncer clairement l’effet ou l’impact d’un changement d’usage, d’un remplacement d’usage dérogatoire par un usage conforme. Un tel changement emporte automatiquement, immédiatement et nécessairement la perte des droits acquis. Le changement ne peut se faire « à l’essai », il n’y a pas de possibilité de retour en arrière. »

La cour confirme en cela le caractère irréversible du changement d’usage par un autre usage, par ailleurs conforme.

¹  Saint-Romuald c. Olivier, [2001] 2 R.C.S. 898