La rédaction d’une servitude : un art qui doit être maîtrisé !

Par Monty Sylvestre

Vous utilisez un petit sentier situé sur le terrain voisin pour vous rendre au bord du lac depuis plusieurs années, et ce, avec la tolérance de votre voisin. Suite à la vente du terrain par votre voisin, le nouveau propriétaire bloque l’accès au sentier. Pouvez-vous invoquer une servitude sur le terrain du voisin suite à l’usage du sentier depuis plus de 10 ou 30 ans ? Malgré ce que plusieurs pourraient en penser, la réponse est non. Une servitude ne peut pas résulter d’un seul usage, et ce, peu importe le nombre d’année d’utilisation. Ainsi, vous ne pourrez réclamer de votre nouveau voisin un « droit acquis » de passage sur son terrain, à moins de conclure avec ce dernier un acte de servitude…qui pourra laisser place à interprétation !

 

Mode d’établissement

En effet, le Code civil du Québec est ferme sur cette question : une servitude ne peut subsister sans titre et même la possession immémoriale ne suffit pas. Une servitude peut seulement être établie de quatre façons : par contrat, par testament, par destination du propriétaire ou par l’effet de la loi (art. 1181 C.c.Q).

La servitude créée par contrat ou par testament permet à tout propriétaire capable de disposer de ses biens ou de tester de créer des servitudes par l’entremise de ces deux documents.

Pour créer une servitude par destination du propriétaire, un même propriétaire doit être propriétaire de deux fonds de terre et, alors qu’il en était encore propriétaire, avoir créé un arrangement matériel dans un écrit qui soit antérieur à la vente d’au moins un des deux terrains (art. 1183 C.c.Q).

La dernière catégorie de servitude est celle qui existe par l’effet de la loi. À titre d’exemple, le propriétaire d’un terrain sans accès au chemin public a le droit de passer sur le terrain de son voisin pour se rendre sur son propre lot. Le voisin est donc obligé, par effet de la loi, de lui accorder un passage sur son lot. Également, les services établis pour les services publics dont l’électricité, le gaz et le téléphone sont des servitudes constituées par l’effet de la loi.

 

Types de servitude

Bien qu’il existe plusieurs sortes de servitudes, une servitude est une charge imposée sur une propriété au bénéfice d’une autre propriété ou d’une personne. La plus évidente est le droit de passage, mais nous pouvons aussi penser à une servitude de non-construction, au droit de pêcher et de chasser, au droit d’accès à un lac ou à une servitude de puisage d’eau.

Il s’agit d’une servitude réelle lorsque la charge est imposée sur un immeuble (le fonds servant) en faveur d’un autre immeuble qui appartient à un propriétaire différent (le fonds dominant). Une fois la servitude établie et publiée au Registre foncier du Québec, elle reste attachée aux propriétés, normalement de manière perpétuelle et indépendamment de l’identité des propriétaires. La publication de la servitude permet en effet d’informer les futurs propriétaires de l’existence de cette charge puisqu’ils devront la respecter (art. 1182 C.c.Q.).

La servitude personnelle, quant à elle, est une obligation imposée à un lot en faveur d’une personne désignée et, habituellement, ne durera que tant que cette personne est en vie. Un exemple serait le droit de chasser sur une parcelle de terrain qu’une personne garderait pour elle lors de la vente de son terrain. Ce droit, qui est également publié au Registre foncier du Québec, serait opposable à tout nouveau propriétaire du terrain et cesserait d’exister lorsque le vendeur décèderait.

 

Incidence de la rédaction des servitudes

A certain moment, il peut être difficile de distinguer une servitude personnelle d’une servitude réelle. Il pourrait très bien arriver que le libellé d’une servitude soit tellement ambigu qu’il serait interprété comme une servitude personnelle au lieu d’une servitude réelle. Cette servitude ne serait alors pas transmise aux futurs propriétaires du terrain.

À d’autres moments, si l’acte ayant constitué la servitude n’est pas clair sur l’étendue de celle-ci, les propriétaires devront s’en remettre aux règles de droit pour interpréter ce que les propriétaires ont voulu établir comme étendue de l’assiette de la servitude; ce qui, de toute évidence, peut forcer les propriétaires à moduler leur volonté.

Un autre exemple éloquent : une servitude d’usage de plage peut donner le droit de se baigner, de se faire dorer au soleil, d’utiliser une embarcation et de la laisser sur place. La servitude d’accès au lac, quant à elle, peut inclure le droit de passage, le droit de se baigner, de pêcher, d’utiliser une embarcation, mais n’autorise pas nécessairement d’y faire des pique-niques, ni de se faire bronzer sur la plage (Painchaud c. O’Connor, REJB 1998-0675 ; Pelletier c. Leroux, [2004] R.D.I. 645).

À la lumière de ce qui vient d’être exposé, il est essentiel de bien formuler dans un écrit le contenu d’une servitude afin d’en faciliter son exercice. Dans l’interprétation d’une servitude, tout est affaire d’interprétation même du contrat, et aussi d’intention des parties. Dans l’ambiguïté, la servitude doit être interprétée restrictivement. Dans certains cas, le tribunal pourrait même être appelé à trancher.

Ce survol du domaine des servitudes nous fait entrevoir l’incidence importante de la rédaction de telles clauses. Parce qu’il maîtrise parfaitement les outils juridiques propres à ce domaine, le professionnel du droit immobilier est en mesure d’expliquer de façon détaillée toutes les facettes de l’impact d’une servitude sur votre propriété.