L’obligation de loyauté d’un salarié s’étend-elle jusqu’à imposer une obligation de non-concurrence, en l’absence d’une clause spécifique à cet égard?
Dans cette affaire, un salarié a été à l’emploi de l’entreprise « Milgram » pendant une période de dix ans. Lors de son embauche, il avait signé un engagement de confidentialité et de non-sollicitation de clients, mais pas de clause de non-concurrence. Il a donné sa démission à Milgram le 17 août 2015, puis a commencé à travailler pour « Traffic Tech » une société concurrente, le 24 août 2015. Il appert que, pendant qu’il était encore à l’emploi de Milgram, le salarié a sollicité un client qui faisait affaires avec Milgram et Traffic Tech afin de faire affaires avec Traffic Tech. Informée de ce fait, Milgram a déposé une demande en injonction provisoire, interlocutoire et permanente et une ordonnance de sauvegarde. Le 29 septembre 2015, la demande de sauvegarde a été présentée devant la juge de première instance qui a notamment interdit au salarié de travailler chez Traffic Tech jusqu’au 16 décembre 2015.
La Cour d’appel a déterminé que la juge de première instance est allée trop loin en interdisant au salarié de travailler pour Traffic Tech pendant une certaine période. La Cour mentionne que même si le salarié a violé ses obligations de loyauté et de non-sollicitation en cours d’emploi chez Milgram, la Cour supérieure ne pouvait pas indûment brimer le droit au travail [du salarié] alors que cela n’était pas nécessaire, d’une part, et que ce dernier n’avait pas signé un engagement de non-concurrence, d’autre part. Comme l’écrivait Marie-France Bich, l’obligation de loyauté prévue au second alinéa de l’article 2088 C.c.Q. ne doit pas être interprétée comme l’équivalent d’une clause de non-concurrence.
Lire la décision : https://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2015/2015qcca2164/2015qcca2164.pdf
Comme employeur, il est important de bien saisir les différences entre l’obligation de loyauté et une clause de non-concurrence. D’une part, l’obligation de loyauté qui se trouve à l’article 2088 du Code civil du Québec est de droit supplétif, c’est-à-dire que cette obligation existe et s’applique à un salarié même en l’absence d’une mention ou d’un écrit y faisant expressément référence. Ainsi, le salarié ne peut en cours d’emploi et pendant un délai raisonnable après la fin de son emploi utiliser des informations confidentielles pour concurrencer son ancien employeur. La durée de l’obligation de loyauté est en principe moins longue que celle prévue à une clause de non-concurrence. Cependant, le salarié peut concurrencer son ancien employeur si ses gestes demeurent loyaux et respectent les principes de bonne foi.
A notamment été reconnu comme étant déloyal l’utilisation d’informations confidentielles obtenues pendant l’emploi, de tactiques de dénigrement, de fausses représentations, le fait de conserver des biens ou documents appartenant à l’ancien employeur et la sollicitation de clients en cours d’emploi.
D’autre part, une clause de non-concurrence se doit, selon l’article 2089 du Code civil du Québec, d’être sous forme écrite et en des termes exprès en stipulant que même après la fin du contrat, le salarié ne pourra faire concurrence à l’employeur ni participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui lui ferait concurrence pour une période de temps, dans un territoire et pour des activités qui sont définis dans la clause. L’existence d’une telle clause est donc essentielle pour les salariés clés puisque sans celle-ci, un salarié peut décider du jour au lendemain de démissionner et de faire concurrence lorsque le tout est fait de manière loyale (sans utiliser d’informations confidentielles, de méthodes de fabrication et de secrets commerciaux, etc.). Finalement, la rédaction d’une clause de non-concurrence n’est pas toujours simple et l’aide d’un conseiller juridique peut s’avérer pertinente puisque différentes limitations quant au temps, au lieu et au genre de travail doivent y être prévues et elles doivent être raisonnables tenant compte du poste occupé par le salarié et des intérêts légitimes de l’employeur, sinon la clause de non-concurrence pourra être annulée par le tribunal.