Grâce à une faillite et à une inscription au Registre foncier, une personne peut-elle reprendre son ancien immeuble sans rembourser le prix reçu lorsqu’elle l’a vendue ?
NON, dit la Cour supérieure avec véhémence, utilisant les mots « sourciller », « inéquitable », « choquant », « inacceptable », « renversant », « aberration », entre autres, pour qualifier le « stratagème » de la défenderesse tout au long du jugement rendu. Voici les faits.
En 2009, le couple demandeur achète une résidence de plus de 400 000 $. Il s’agit d’une maison âgée de 3 ans. En 2010, ils intentent une poursuite contre la défenderesse pour vices cachés. Ils gagnent leur poursuite. La Cour supérieure ordonne ainsi, en 2012, que la vente soit annulée [note de Monty Sylvestre : donc la maison doit être reprise par la défenderesse]. En conséquence, la Cour ordonne aussi que le prix d’achat soit remis aux demandeurs par la défenderesse, en plus du coût de certains travaux sur la maison, les frais de justice, les frais d’expert et les intérêts.
La défenderesse ne paie pas aux demandeurs le montant ordonné par la Cour et choisit plutôt de faire faillite. Juste avant sa faillite, elle publie au Registre foncier le jugement pour valoir preuve qu’elle est maintenant propriétaire de l’immeuble. [Note de Monty Sylvestre : le Registre foncier est le registre gouvernemental provincial où chaque immeuble cadastré est inscrit ainsi que tous les droits relatifs à cet immeuble, comme la propriété, les hypothèques, les servitudes, etc., afin de rendre le tout public]
Elle se déclare propriétaire de l’immeuble auprès du syndic, qui refuse toutefois de suivre le raisonnement de la défenderesse. Quant aux demandeurs, ils la poursuivent pour obtenir la radiation de l’inscription au Registre foncier (car cela les empêche de vendre l’immeuble) et lui réclament le coût des services d’avocats pour cela, sur la base d’un comportement abusif.
Selon la défenderesse, comme le jugement de 2012 ne prévoit pas ce qu’il arrive en cas de faillite, et comme il n’est pas écrit noir sur blanc qu’elle doit rembourser aux demandeurs le prix d’achat pour reprendre l’immeuble, elle est devenue propriétaire dès que le jugement a été rendu. Elle est aussi obligée de payer le montant ordonné par la Cour, mais la faillite a éteint cette dette. Selon la Cour : « Autrement dit, selon elle, elle reprend l’immeuble et n’a pas à remettre le prix reçu ». La Cour se pose la question : « Notre système de droit permet-il une telle aberration? »
« On admettra aisément que l’argument de la défenderesse s’avère inéquitable, voire choquant. La faillie, condamnée dans le recours en annulation de vente, reçoit la maison sans avoir à la payer vu sa libération de faillite. » Alors qu’elle a fait cession de ses biens pour éviter de satisfaire le jugement, on la récompense en lui remettant la propriété! À l’inverse, les demandeurs perdent la maison qu’ils ont payée et ne reçoivent rien du jugement dans lequel ils ont eu gain de cause. », dit la Cour.
Après une analyse des règles juridiques applicables, le Tribunal écrit « la défenderesse ne peut reprendre ses billes et conserver celles de son acheteur. […] la défenderesse a adopté un comportement déraisonnable et empreint de mauvaise foi. […] La défenderesse a abusé du système judiciaire d’une manière inacceptable. »
La Cour supérieure ordonne la radiation de l’inscription publiée sans droit au Registre foncier par la demanderesse (qui se déclarait propriétaire de l’immeuble) et la condamne à verser plus de 16 000 $ aux demandeurs, plus intérêts, en raison de son comportement abusif. [note de Monty Sylvestre : cette condamnation étant prononcée après la faillite, la défenderesse doit la payer ou faire faillite à nouveau].