Une famille déchirée et l’erreur d’un notaire mène à une condamnation pour diffamation et à l’annulation d’un testament.
Le 13 décembre 2016, la Cour supérieure a rendu un jugement ayant pour effet d’annuler un testament et de condamner la sœur du testateur à des dommages moraux et punitifs pour une somme totale de 40 000 $. Voici les faits menant à cette décision :
Anita Masihi Allahverdi Ashegh (ci-après « Anita ») est née à Téhéran en Iran et elle a épousé Missak Ashegh (ci-après « Missak ») le 22 mai 1995 en Allemagne. Suite à leur déménagement à Montréal, les époux ont célébré un mariage religieux le 27 mai 1996. Deux enfants sont nés de leur union, soit Nathalie et Mélanie. Dès le début de leur mariage, des problèmes de couple sont survenus entre Missak et Anita. Étant d’origine Arménienne, la tradition veut que l’épouse soit toujours vierge et doit avoir une hémorragie plus ou moins importante lors de la défloraison. Or, madame n’a eu aucune hémorragie. Missak interprète alors ce fait comme une tromperie de la part de son épouse et considère qu’elle est une femme «immorale».
En courant de l’année 2012, de nouvelles rumeurs d’infidélité de la part d’Anita circulent. Bien que le couple se réconcilie pendant la période des fêtes, Missak est convaincu de l’infidélité de son épouse. Il décide de changer son testament et demande à son notaire, lors d’une conversation téléphonique, de préparer un testament qui déshérite sa conjointe au profit de ses deux filles.
Tous ses événements ont creusé un fossé entre Anita et sa belle-famille, laquelle ne cesse de la dénigrer en revenant, sans arrêt, sur ses prétendues infidélités.
Le 13 août 2013, Missak est admis à l’hôpital et apprend qu’il est atteint de leucémie. Pendant son hospitalisation, sa soeur Roza et leur mère passent le plus clair de leur temps à l’hôpital, et ce, même lors des visites d’Anita et de ses enfants. Selon Anita, Roza et sa mère auraient insinué qu’elle était en femme infidèle, qu’elle allait peu souvent le voir et qu’elle était indigne de lui succéder.
Ce n’est que le 29 août 2013 que Missak se rend chez le notaire pour signer son nouveau testament. Lors de cette rencontre, Missak change une nouvelle fois d’idée et demande au notaire d’inscrire le nom de sa sœur Roza comme liquidatrice et unique héritière de sa succession. Il précise que Roza devra toutefois remettre l’ensemble de ses biens à ses deux filles, Nathalie et Mélanie.
Le 20 septembre 2013, Missak décède à l’hôpital.
Lors des funérailles, la famille de Missak a traité Anita et ses filles comme de pures étrangères. Après les funérailles, Anita a organisé une réception pour les membres de la famille et les amis de Missak. Devant plus d’une centaine de personnes, Roza et son frère ont diffusé une vidéo d’une conversation téléphonique entre Anita et Missak peu de temps avant son décès et enregistrée à l’insu d’Anita. Cette conversation concernait les prétendues infidélités de cette dernière. Cette vidéo a causé scandale, étonnement et humiliation pour Anita et ses filles. Les gens ont quitté les lieux choqués et certains en insultant Anita.
Suite à cette diffusion, Anita et ses filles ont été démolies. Elles ont souffert de stress, d’anxiété et de troubles psychologiques importants.
En conséquence, Anita demande l’annulation du dernier testament de Missak dû aux agissements et à l’influence exercée par Roza sur son frère Missak et demande également contre celle-ci des dommages moraux et punitifs pour la diffusion de la vidéo lors de la réception familiale.
DÉCISION DU TRIBUNAL
Annulation du testament
Le juge n’est pas convaincu que Missak n’aurait pas modifié son testament malgré l’influence que Roza pouvait exercer sur son frère lors de son hospitalisation. En effet, un ami de Missak a témoigné à l’effet que dès juin 2013, soit avant son hospitalisation, Missak était persuadé que son épouse lui était infidèle et qu’il avait l’intention de changer son testament.
Toutefois, il ressort de la preuve présentée au tribunal que l’intention de Missak était de transmettre ses biens à sa sœur Roza, mais à charge pour elle de les remettre à ses filles Nathalie et Mélanie. Comme le notaire n’a pas reproduit cette intention au testament, le juge conclut que le testament est invalide pour cause d’erreur et d’omission de la part du notaire. Il nomme donc Anita comme liquidatrice de la succession de Missak, laquelle est la seule légataire universelle de ses biens suivant les termes de son ancien testament.
Dommages moraux et punitifs
Le juge est d’avis que la diffusion de l’enregistrement est diffamatoire à l’égard d’Anita et de ses enfants. En effet, la diffamation résulte de la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime de soi ou la considération de quelqu’un ou qui suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables, et ce, même si cette communication relate des faits exacts. Le juge conclut que tant Anita que ses deux filles ont subi des troubles psychologiques importants et que les agissements de Roza sont non seulement reprochables, mais constituent un acte de méchanceté inadmissible qui doit être sanctionné. Ainsi, le juge condamne Roza à verser les sommes suivantes :
- 15 000 $ pour dommages moraux pour atteinte à la dignité, à l’honneur et la réputation en faveur d’Anita;
- 10 000 $ pour dommages punitifs en faveur d’Anita;
- 5 000 $ pour dommages moraux pour chacun des deux enfants;
- 2 500 $ pour dommages punitifs pour chacun des deux enfants.