Est-il possible de congédier un employé-cadre parce qu’il accumule du retard dans ses tâches, sans jamais lui avoir fait de reproches auparavant, et sans lui verser d’indemnité de départ?

Par Monty Sylvestre

Non, dit la Cour supérieure dans une décision rendue le 1er avril dernier.

Le demandeur, comptable professionnel agréé, occupait le poste de directeur des finances de l’Aéroport de Québec de mai 2010 à avril 2011. Il avait été recruté par le vice-président finance et administration, le demandeur travaillant jusque-là à son compte comme consultant. Il est embauché dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée. Ses tâches sont d’agir comme contrôleur finance et construction, directeur de la construction, responsable de la négociation de la convention collective et responsable des ressources humaines. Sa charge de travail est très grande. Ses 6 mois de probation passent et personne ne lui fait de reproches.

Au fil du temps, le demandeur s’adresse à son supérieur immédiat, qui est le vice-président qui l’a recruté, pour l’informer régulièrement du manque de structure entre les tâches des employés-cadres, ainsi que du manque de ressources pour effectuer tout ce travail. Le vice-président ne prend aucune mesure pour mieux répartir les tâches, se contentant de lui demander de préparer un plan d’action à ce sujet (que le demandeur n’a pas le temps de préparer, justement parce qu’il est débordé!). Le demandeur continue son travail et tous ses collègues considèrent qu’il le fait bien. On s’adresse à lui fréquemment, car le vice-président n’est pas aussi efficace ni rapide, selon ses collègues. Le vérificateur comptable externe de l’aéroport félicite le demandeur, dans son rapport écrit, pour son excellent travail comptable et sa collaboration efficace.

Le président de l’aéroport, voyant la situation, décide alors d’embaucher, en janvier 2011, une nouvelle employée-cadre pour agir comme directrice des ressources humaines, afin de libérer le demandeur. En mars 2011, le demandeur est rencontré par le vice-président dans le cadre de son évaluation annuelle. Aucun reproche ne lui est fait. On discute plutôt des dossiers et de la charge de travail à réorganiser éventuellement. Aucun suivi de rencontre n’est fait par la suite par le vice-président. Parallèlement, le demandeur entreprend un travail d’équipe avec la nouvelle directrice des ressources humaines, avec qui tout fonctionne bien.

Le 17 avril 2011, un dimanche, le demandeur reçoit un appel téléphonique à résidence, de la part du vice-président. L’appel est bref : le demandeur apprend qu’il est congédié, avec effet immédiat. Il subit un grand choc. Sa santé sera affectée.

Suite au congédiement du demandeur, deux nouvelles personnes sont embauchées pour reprendre uniquement le travail de contrôleur finance et construction, que le demandeur effectuait en plus de ses autres tâches. La négociation de la convention collective est assignée à un autre cadre. Rappelons que les ressources humaines venaient tout juste d’être transférées à la nouvelle directrice embauchée en janvier.

Bref, il faut 3 nouvelles personnes pour reprendre une partie des tâches du demandeur, ainsi que la participation d’un autre cadre déjà en poste.

Selon le Code civil du Québec, l’aéroport ne serait pas obligé de payer au demandeur une indemnité de délai-congé, s’il a été congédié pour des motifs graves. L’aéroport invoque que le demandeur ne rencontrait pas ses objectifs, accumulait du retard et n’offrait par la performance attendue.

La Cour juge plutôt que l’employeur avait des attentes irréalistes. L’aéroport était conscient des problèmes internes et n’a pas offert au demandeur le support requis, alors qu’il devait le faire, selon le tribunal. L’aéroport ne communique pas ses attentes au demandeur, lequel est laissé avec un certain flou. Personne parmi ses collègues n’est insatisfait du travail qu’il fait. On ne lui formule aucun reproche, même à la fin de sa période de probation ou lors de son évaluation annuelle. Puis, 4 personnes sont requises pour faire le travail du demandeur après son congédiement.

Il n’y avait donc pas de motif grave de congédier le demandeur et l’aéroport doit, en conséquence, lui verser l’indemnité de délai-congé auquel tout salarié congédié a droit. Dans son cas, cela équivaut à 12 mois de salaire, plus les autres avantages sociaux prévus. Le tribunal ajoute à cela une somme de 20 000 $ pour compenser les inconvénients importants subis par le demandeur, en raison du traitement qui lui a été réservé par son [ancien] employeur au moment de son congédiement. En effet, le tribunal reconnaît que l’employeur n’est pas responsable des inconvénients fréquents relatifs à tout congédiement, tels le découragement, l’anxiété, l’humiliation, etc. Il en est cependant responsable dans le présent cas, puisqu’il s’est comporté de manière inacceptable et que cela a causé un préjudice important au demandeur. Bref, « ce n’est pas tant la décision de congédier qui est sanctionnée, mais la façon de procéder au congédiement », écrit la cour.

Lire la décision : http://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2016/2016qccs1563/2016qccs1563.pdf