Erreur dans une soumission : L’entrepreneur peut-il obliger une municipalité à corriger son bordereau de prix pour y inclure les taxes?
Transiger avec une municipalité n’est pas toujours chose facile. En effet, lorsqu’elles octroient des contrats, les municipalités ont des règles strictes à respecter. La Loi sur les cités et villes[1] oblige les municipalités à procéder par appel d’offres dans certaines situations, notamment lors de l’octroi d’un contrat de construction de 100 000$ et plus. Elles ne peuvent alors accorder un contrat qu’au plus bas soumissionnaire, sauf dans certains cas prévus à la loi.
Mais qu’arrive-t-il lorsqu’une erreur se glisse dans la soumission d’un entrepreneur et que le prix inscrit sur son bordereau de prix n’est pas aussi élevé qu’il aurait dû l’être, puisqu’il a omis d’y ajouter les taxes, prétendant qu’aucune ligne spécifique du bordereau n’était prévue à cet effet?
L’entrepreneur peut-il alors exiger que le contrat lui soit octroyé pour le montant prévu au bordereau de prix PLUS les taxes applicables? Peut-il exiger de la municipalité qu’elle corrige cette erreur avant de lui octroyer le contrat?
Le 28 novembre dernier, la Cour supérieure a rendu une décision fort intéressante rappelant l’importance pour les soumissionnaires de vérifier l’exactitude des informations qu’ils inscrivent dans leurs soumissions, les municipalités ne pouvant pas toujours les modifier. Il s’agit de la décision Groupe Hexagone c. Ville de Lac-Mégantic, 2017 QCCS 5425 (disponible sans frais sur le site www.canlii.org/fr).
Suite à la tragédie ferroviaire qui est survenue en juillet 2013, la Ville de Lac-Mégantic procède à un appel d’offres public pour un projet de construction d’un pont au-dessus de la rivière Chaudière. L’entreprise Groupe Hexagone dépose une soumission pour le projet.
Dans le cadre de l’analyse des soumissions, la Ville constate que le prix final du calcul détaillé de la soumission d’Hexagone est le même que le prix indiqué dans son bordereau, sans plus. Elle contacte Hexagone pour vérifier si le prix final de sa soumission inclut la valeur des taxes. Le représentant d’Hexagone répond par la négative. Dans un premier temps, la Ville rajoute de son propre chef la valeur des taxes au prix de la soumission d’Hexagone, et il s’avère que celle-ci demeure, malgré l’ajout, celle ayant présenté la soumission la plus basse parmi les soumissionnaires conformes. La Ville adopte donc une résolution octroyant le contrat à Hexagone pour le prix de 3 779 764.03$, soit le montant de 3 287 466$ inscrit à la soumission plus les taxes. Hexagone débute les travaux de construction.
Suite à une plainte de la part d’un autre soumissionnaire, remettant en question la légalité de la décision de la Ville de corriger le prix de la soumission d’Hexagone, la Ville obtient un avis juridique et se ravise : elle adopte une résolution modificatrice, laquelle annule la majoration du prix de la soumission, et octroie le contrat à Hexagone pour le montant initialement soumis par Hexagone, soit 3 287 466$. Hexagone s’oppose à cette seconde résolution, plaidant que les documents d’appel d’offres portaient à confusion et que la résolution initiale ne pouvait être modifiée rétroactivement. Elle entreprend donc un pourvoi en contrôle judiciaire contre la Ville, dans lequel elle demande au tribunal d’annuler la deuxième résolution de la Ville.
La Cour supérieure rejette le recours d’Hexagone et donne raison à la Ville. Tout d’abord, elle estime qu’il n’y a aucune incohérence prêtant à confusion dans les documents d’appel d’offres de la Ville. Le fait que le bordereau de soumission ne contienne pas de ligne dédiée au montant des taxes, alors que la Ville demande, dans ses instructions aux soumissionnaires, un prix final « incluant la taxe fédérale sur les produits et services (TPS) et la taxe de vente du Québec (TVQ) » n’est source d’aucune ambiguïté. Le « prix final » indiqué par Hexagone est inscrit tout juste à côté de la phrase « incluant la TPS et la TVQ ». Or, le prix soumis par Hexagone constitue donc de sa part un engagement irrévocable, lequel est valide pour une période de 120 jours, conformément aux documents d’appel d’offres.
Mais il y a plus. Le tribunal estime que la Ville ne pouvait légalement corriger le bordereau de soumission d’Hexagone et lui octroyer le contrat à Hexagone à un prix supérieur à celui soumis par cette dernière. En effet, il ne s’agissait manifestement pas d’une erreur cléricale, compte tenu de la conclusion précédente, et la Ville ne pouvait renégocier à la hausse le prix du contrat octroyé à Hexagone, ce qui est illégal. Les règles relatives à l’octroi de contrats par appel d’offres public étant d’ordre public, la résolution adoptée en premier lieu par la Ville était illégale et c’est à juste titre que la Ville a corrigé le tir en adoptant la deuxième résolution. Par laquelle elle octroyait le contrat à Hexagone pour le prix initialement soumis.
Conclusion
Pour conclure, cette récente décision nous rappelle que les soumissionnaires doivent faire preuve de vigilance lorsqu’ils rédigent leurs soumissions et complètent leur bordereau de soumission. En matière d’octroi de contrats publics, des règles strictes empêchent le donneur d’ouvrage public (par exemple, la Ville) d’octroyer un contrat pour un montant supérieur à celui indiqué dans le bordereau de soumission, et toute décision en sens contraire de la part de la Ville pourrait être annulée par un tribunal.
Ainsi, nous vous recommandons qu’en cas de divergence ou de contradictions entre les divers documents d’appel d’offres, un éventuel soumissionnaire se doit d’aviser le maître d’œuvre du projet avant le dépôt de sa soumission dès qu’il constate les contradictions ou les ambigüités contenues dans les documents d’appel d’offres. Une fois les soumissions ouvertes, il sera trop tard : les soumissionnaires ne pourront modifier ni retirer leur soumission avant la fin de la période de validité de celle-ci.
[1] Loi sur les cités et villes, LRLQ c. C-19, art. 373.