L’éditeur d’un site Internet ayant publié un article diffamatoire peut-il, lui aussi, être condamné à dédommager la victime?

Le 27 octobre dernier, la Cour supérieure a rendu un jugement dans une affaire de diffamation, où la victime poursuivait les défendeurs pour un montant de 500 000 $. Les faits sont les suivants.

En novembre 2011, dans la foulée de la Commission Bastarache et de toute l’attention médiatique portée à la question de la corruption dans le domaine public et de la construction (ce qui allait mener à la Commission Charbonneau un peu plus tard), un individu nommé Richard Le Hir a publié un article sur le site Internet Vigile.net. Il s’agissait d’un site Internet publiant des articles émanant d’individus indépendants du site tout autant que des articles écrits par ses responsables. M. Le Hir n’avait pas de lien avec ce site, mais écrivait régulièrement des articles que les éditeurs du site acceptaient de publier.

L’article en question dénonçait entre autres le demandeur, un avocat ayant réorienté sa carrière en tant que promoteur immobilier depuis le début des années 2000, comme ayant des liens étroits avec la mafia. Ni les éditeurs du site ni M. Le Hir ne connaissaient le demandeur et il ne s’agit pas d’une question de vendetta personnelle. L’auteur Le Hir s’est plutôt basé sur diverses sources d’information, plus ou moins fiables, sans faire de vérifications sérieuses et en tirant ses propres conclusions à partir des éléments trouvés.

Évidemment, le demandeur s’est trouvé grandement affecté par ces accusations, surtout sur le plan personnel, mais aussi en affaires. Il a tenté de régler le dossier à l’amiable, en demandant que l’auteur et le site publient une rétractation, mais ils ont refusé.

N’ayant d’autre alternative, il a intenté ses procédures en justice contre M. Le Hir ainsi que l’éditeur du site (M. Frappier) et l’organisme à but non lucratif propriétaire et exploitant du site, leur réclamant solidairement 500 000 $.

La Cour conclut que le comportement de l’auteur Le Hir est de la diffamation, puisqu’il a porté atteinte à la réputation du demandeur avec des propos qui sont graves, ne sont supportés par aucune preuve et dont il n’a pas vérifié la véracité avant de les publier. Bref, il s’agit de négligence claire et d’un manque de prudence évident.

La Cour évalue cependant que le montant de l’indemnité approprié est de 30 000 $, soit bien loin du montant réclamé.

Elle retient aussi la responsabilité de l’éditeur du site, M. Frappier, pour 2 raisons. Tout d’abord, il a autorisé et même choisi de publier l’article de M. Le Hir sur le site Internet Vigile.net. Puis, en réaction au texte publié, de nombreux lecteurs ont écrit des commentaires diffamatoires sur le demandeur dans la section « commentaires » qui suit l’article de M. Le Hir. La Cour a jugé qu’une cinquantaine d’entre eux étaient diffamatoires. Or, l’éditeur Frappier était celui qui approuvait ou rejetait les commentaires pour publication. Ainsi, afin que les commentaires diffamatoires apparaissent sur le site, il a fallu qu’il les approuve auparavant. En conséquence, il est tenu solidairement au paiement de la somme de 30 000 $ (autrement dit, le demandeur peut réclamer le 30 000 $ de l’un ou l’autre des défendeurs, selon le plus solvable, et ce sont aux défendeurs entre eux de déterminer la part de chacun, ou en cas de désaccord, à retourner en Cour pour faire trancher la part de chacun).

Lire la décision : http://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2016/2016qccs5167/2016qccs5167.pdf