Congédiement pour incompétence durant une période de probation : Quels sont les droits de l’employeur en contexte syndiqué ou non syndiqué ?

Par Votre équipe en droit du travail et de l'emploi

Dans une sentence arbitrale récente¹, un arbitre a eu à se prononcer sur le grief d’un salarié syndiqué, congédié durant sa période de probation. Le plaignant occupait un poste d’ingénieur occasionnel pour la période du 4 janvier 2012 au 30 mars 2013. Le 19 avril 2012, l’employeur a mis fin à sa période de probation et à son emploi pour cause de rendement insatisfaisant. Le syndicat a alors déposé un grief pour contester la fin d’emploi. L’employeur base sa décision sur la clause 10-2.17 de la convention collective qui prévoit que l’ingénieur occasionnel doit compléter avec succès une période de probation de six mois et que la décision de mettre fin à son emploi à l’intérieur de ce délai ne peut, en aucun cas, faire l’objet d’un grief.

L’arbitre Denis Gagnon en vient à la conclusion que la présente situation est visée par la clause 10-2.17 de la convention collective. Ainsi, l’employeur a décidé de mettre fin à l’emploi du salarié dans le délai de six mois de sa période de probation et cette décision ne peut pas faire l’objet d’un grief. Cependant, l’arbitre rappelle que la clause 10-2.17, bien qu’elle prive le salarié du droit au grief pour contester sa fin d’emploi, ne l’empêche pas de vérifier si la décision de l’employeur est abusive, arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

En effet, un salarié en période de probation peut démontrer que sa fin d’emploi va à l’encontre d’une norme d’ordre public, telle que l’exigence de la bonne foi prévue au Code civil du Québec. L’extrait suivant repris dans la sentence arbitrale exprime des situations où un arbitre peut faire droit au grief :

« […] il faut donc que la preuve démontre soit que la décision de l’employeur était grossièrement erronée, soit qu’elle s’appuyait sur des considérations externes à l’objet ou la finalité du contrat de travail, soit qu’elle n’est fondée sur aucun motif réel et pertinent, soit que la décision comporte un vice sérieux au point où l’on puisse conclure à un coup monté, soit que la preuve démontre que l’employeur agit de mauvaise foi, de façon malicieuse, pour nuire ou encore, soit que l’employeur s’autorise de faits qui ne pourraient amener un gestionnaire compétent qui agit avec bon sens et dans le respect du droit et de l’équité, à retenir quelque mesure administrative ou disciplinaire en semblables circonstances, fut-elle la plus minime. »

Les parties reconnaissent que l’arbitre a compétence pour étudier le grief sous cet angle. Selon le syndicat, même si le congédiement a eu lieu pendant une période de probation, l’employeur devait démontrer l’incompétence du salarié selon les cinq critères établis par la jurisprudence pour justifier une fin d’emploi pour incompétence. Ces critères sont les suivants :

  • le salarié connaît les politiques de l’entreprise et les attentes fixées à son égard;
  • les lacunes du salarié lui ont été communiquées;
  • il a obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;
  • il a bénéficié d’un délai raisonnable pour apporter les correctifs;
  • il a été prévenu du risque de congédiement en l’absence d’une amélioration de sa part.

L’arbitre rejette cependant cette prétention du syndicat et affirme que d’« exiger d’un employeur qu’il respecte rigoureusement tous les critères énoncés en matière de congédiement pour incompétence tels qu’ils s’appliquent dans la situation d’un salarié permanent et comme on les retrouve dans les cas de jurisprudence soumis par l’association, reviendrait effectivement à évaluer le grief comme s’il s’agissait d’un cas de congédiement pour incompétence plutôt que la fin d’emploi d’un salarié en période d’essai ». L’arbitre conclut que dans ce contexte le syndicat n’a pas été en mesure de démontrer que l’employeur avait agi de mauvaise foi ou qu’il avait adopté une attitude abusive durant la période de probation ou lors de la décision d’y mettre fin. Par conséquent, il rejette le grief.

En résumé, en tant qu’employeur, vous êtes en droit de mettre fin à l’emploi d’un salarié syndiqué qui, durant sa période de probation, ne répond pas aux attentes ou aux objectifs de l’entreprise. Ainsi, vous n’avez pas l’obligation de respecter rigoureusement tous les critères en matière de congédiement pour incompétence déterminés par la jurisprudence, mais vous devez cependant vous assurer que vous exercez votre droit de gérance de bonne foi et que les motifs de fin d’emploi sont réels et non pas un prétexte pour se libérer d’un salarié.

D’autre part, pour un salarié non syndiqué, à moins d’une disposition expresse dans son contrat de travail, il n’existe alors aucune période de probation. De plus, le salarié non syndiqué qui possède moins de deux ans de service continu ne peut déposer une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante (art. 124 LNT) afin d’exiger sa réintégration. Le seul remède possible est un délai de congé selon l’article 82 de la Loi sur les normes du travail (dans la mesure où il est au service de son employeur depuis plus de trois mois) ou celui de l’article 2091 du Code civil du Québec. Notons que certains contrats individuels de travail prévoient une clause de période de probation. Une telle clause a déjà été interprétée par les tribunaux comme garantissant une période d’emploi minimale au salarié. L’inclusion d’une telle clause et sa rédaction sont donc des éléments auxquels doivent réfléchir sérieusement les employeurs.

¹ Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec et Québec (Ministère des Transports), 2014 QCTA 897.