La clause de non-concurrence et de non-sollicitation lors d’une vente d’entreprise : un même nom, mais une nature très différente que celle présente dans un contrat de travail.

Lors d’une vente d’entreprise, le but d’une clause de non-concurrence et de non-sollicitation (la non-sollicitation vise autant les employés que les clients de l’entreprise) est, dans les mots de la Cour suprême du Canada, de protéger l’investissement de l’acheteur de l’entreprise, afin de lui donner le temps de bâtir des liens solides avec sa nouvelle clientèle, sans craindre la concurrence du vendeur[1].

Autrement dit, la clause a pour but d’éviter que le vendeur, qui a vendu l’achalandage, la clientèle et la main-d’œuvre qualifiée de l’entreprise à un prix juste et raisonnable, puis a empoché l’argent de la vente, puisse en fait reprendre ce qu’il a vendu en démarrant une nouvelle entreprise ou en se joignant à une entreprise déjà existante[2]. Ce serait comme s’il venait récupérer par la porte d’en arrière ce qu’il a vendu, sans remettre l’argent.

Une telle clause sera donc interprétée avec souplesse par les tribunaux[3], puisqu’elle n’est pas régie par les règles strictes du Code civil du Québec concernant la clause de non-concurrence en contexte d’emploi, et qu’elle n’a pas pour effet d’empêcher une personne de gagner sa vie. En effet, l’employé est présumé être dans une situation plus défavorable que le vendeur d’une entreprise, qui a choisi de vendre et a négocié le moment et le prix de la vente. Par exemple, en contexte commercial, l’entente de non-concurrence et de non-sollicitation peut être verbale[4], alors que l’écrit est obligatoire en contexte d’emploi[5].

Il faut aussi garder en tête que lors d’une vente d’entreprise, le vendeur peut convenir de demeurer à l’emploi de l’entreprise, souvent pour assurer une transition en douceur. Dans un tel cas, la Cour suprême rappelle que même si la clause existe dans une situation où il y a un contrat d’emploi, il s’agit tout de même d’une clause conclue en contexte commercial, car le contrat d’emploi n’est que l’accessoire et la suite de la vente de l’entreprise. La non-concurrence et la non-sollicitation ont donc quand même pour but de protéger l’investissement de l’acheteur[6].

Ainsi, quels sont les critères pour permettre à cette clause, en contexte commercial, d’être jugée valide par les tribunaux? Les voici. Notons que la Cour suprême a précisé qu’ils doivent tous être évalués en respectant la liberté de commerce, puisqu’une telle clause est présumée légale, de sorte que le vendeur doit prouver au tribunal qu’elle est déraisonnable[7].

Premièrement, la clause doit être raisonnable globalement. Cela est évalué au cas par cas, car la clause doit servir à protéger les intérêts légitimes de l’acheteur, donc en tenant compte du prix de vente, des activités de l’entreprise, de l’expérience et de l’expertise de l’acheteur et du vendeur, de l’accès à des professionnels pour les conseiller dans la transaction, etc.[8]

Deuxièmement, la clause doit prévoir une durée et cette durée doit être adaptée tout particulièrement aux activités interdites. Les tribunaux sont très sévères quant à la présence d’une durée (son absence rend automatiquement la clause illégale), mais sont très souples concernant cette durée. En effet, une durée de 5 ans est régulièrement acceptée et une durée de 10 ans n’est pas rare[9].

Troisièmement, la clause doit prévoir une limite territoriale pour la non-concurrence. La règle générale veut que la limite corresponde au territoire d’affaires de l’entreprise vendue. Cette règle est sévère en ce sens que le fait d’avoir une clause interdisant la concurrence sur un plus grand territoire que celui de l’entreprise, est illégal. Cependant, il suffit que l’entreprise exerce ses activités à l’occasion dans un secteur pour que la clause puisse l’englober. Par exemple, la Cour suprême a jugé que si une entreprise exerce « la très grande majorité » de ses activités dans la région de Montréal, et le reste de ses activités ailleurs au Québec, la clause peut viser tout le Québec[10]. En ce qui concerne la non-sollicitation, aucune limite territoriale n’est obligatoire[11].

Quatrièmement, la clause doit viser uniquement les activités de l’entreprise, sinon elle sera illégale parce qu’abusive. On voit d’ailleurs mal en quoi le fait d’empêcher l’exercice d’activités totalement hors du champ de l’entreprise pourrait servir à protéger l’investissement de l’acheteur et ses intérêts légitimes. Or, c’est justement ce but de protection qui rend la clause légale[12].

En bref, la clause de non-concurrence et de non-sollicitation en contexte commercial est un outil très efficace et très malléable. À condition d’être utilisée avec discernement et sans faire preuve de « gourmandise », donc en se servant du « gros bon sens » et en se « mêlant de ses affaires », les tribunaux verront à sanctionner tout manquement du vendeur à cette clause.

[1] Payette c. Guay inc., [2013] 3 R.C.S. 95, au paragr. 37.

[2] Lebeuf c. Groupe SNC-Lavalin inc., 1999 CanLII 13644 (QC CA).

[3] Payette c. Guay inc., supra note 1, aux paragr. 39, 58 et 73.

[4] Art. 1385 C.c.Q.

[5] Art. 2089 C.c.Q.

[6] Payette c. Guay inc., supra note 1, aux paragr. 46 et 49.

[7] Payette c. Guay inc., supra note 1, aux paragr. 57-58.

[8] Payette c. Guay inc., supra note 1, aux paragr. 61-62.

[9] Payette c. Guay inc., supra note 1, au paragr. 63.

[10] Payette c. Guay inc., supra note 1, aux paragr. 65-66.

[11] Payette c. Guay inc., supra note 1, au paragr. 69.

[12] Payette c. Guay inc., supra note 1, au paragr. 61.