Un CHSLD privé est-il forcé de réintégrer une patiente qui y loue une chambre et qui vient de recevoir son congé de l’hôpital ?
La Cour supérieure a rendu, le 7 septembre dernier, une décision par laquelle elle ordonne à un CHSLD privé de réintégrer une patiente ayant un bail de chambre dans l’établissement. Les faits sont toutefois beaucoup plus rocambolesques et malheureux que cela. Les voici.
Notons tout d’abord que ce CHSLD privé détient toutes les autorisations requises par la loi pour opérer. Par ailleurs, personne ne remet en cause le fait que la patiente détient un bail pour une chambre, avec soins, dans son établissement. Elle y est depuis novembre 2006. Son bail s’est renouvelé automatiquement, comme d’habitude, au 1er juillet 2016.
L’état de santé de la patiente se détériore au fil du temps. Elle doit être hospitalisée le 4 août 2016 pour une insuffisance rénale. Elle apprend quelques jours plus tard que le CHSLD privé refuse qu’elle réintègre sa chambre à la sortie de l’hôpital. Il semblerait que son état nécessite trop de soins pour ce que le CHSLD privé est en mesure de lui fournir.
La patiente reçoit son congé de l’hôpital le 26 août 2016. Elle refuse de quitter, n’ayant nulle part où aller. Le 31 août 2016, le CISSS de la Montérégie-Centre prend un recours en injonction urgente, devant la Cour supérieure, afin de forcer la patiente à quitter l’hôpital pour aller en centre d’hébergement public.
Plutôt, la patiente prend, le même jour, son propre recours en injonction urgente devant la Cour supérieure, afin de forcer sa réintégration dans le CHSLD privé. Le dossier du CISSS en Cour supérieure est mis en attente le temps que la Cour se prononce sur la demande de réintégration au privé de la patiente.
Le 7 septembre 2016, la Cour supérieure se prononce et ordonne la réintégration au privé. En effet, la patiente dispose d’un bail légal, renouvelé et qui n’a pas pris fin. Seul le tribunal approprié (en l’occurrence, la Régie du logement) peut y mettre fin. Le CHSLD privé n’a pas fait cette demande.
Il plaide plutôt qu’il n’est pas en mesure de respecter le bail, qui comprend des soins. En effet, l’état de la patiente requiert trop de soins. Il n’est pas équipé en matériel et personnel pour prodiguer ces soins. Depuis 2015, 6 employés ont été victimes d’accidents du travail en déplaçant la patiente, dont le poids est élevé. Il faut 3 employés pour la déplacer, vu son poids et son état de santé. Les équipements bariatriques appropriés ne sont pas disponibles au CHSLD privé. La patiente a déjà chuté d’un fauteuil non adapté pour elle, s’est fracturé le tibia et a dû être hospitalisée 3 semaines pour cela, car le fauteuil s’est brisé.
Des médecins ont confirmé la nécessité de tels équipements et leur absence au CHSLD privé. Un autre médecin confirme par ailleurs que l’état de santé de la patiente, qui se détériore, requiert un autre milieu de vie. Le CHSLD privé invoque ne pas être en mesure de continuer à offrir à la patiente les services dont elle a besoin.
D’un autre côté, la patiente invoque que son état de santé a cessé de se détériorer et qu’elle a repris du mieux, de sorte qu’elle est revenue dans le même état qu’avant sa fracture.
Quant à la Cour, saisie d’une procédure urgente, elle doit respecter les critères prévus par la loi. Le premier, l’apparence de droit, indique que la patiente a toujours un bail avec le CHSLD privé et qu’elle a droit de réintégrer sa chambre. Le bail a été renouvelé et le CHSLD n’a pas demandé sa résiliation. Il s’agit de ce que l’on appelle le droit au maintien dans les lieux. Le bail d’une chambre dans un CHSLD privé n’est pas différent du bail d’un logement à ce niveau. Le propriétaire ne peut pas évincer le locataire sans respecter la loi.
Le deuxième critère, le préjudice sérieux, est évident. On ne peut pas laisser la patiente dans un vide où le CISSS demande de l’évincer, où le CHSLD privé ne veut pas la reprendre et où elle a un bail qui lui procure un endroit où demeurer.
Bref, la patiente retournera pour l’instant au CHSLD privé tel que prévu dans son bail. Il reviendra aux parties, une fois cette portion urgente du dossier réglée, de voir ce qui peut être fait dans l’avenir plus ou moins rapproché.
Lire la décision : http://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2016/2016qccs5135/2016qccs5135.pdf